6.6.13
Le Royaume du Maroc limite la liberté d'expression notamment au sujet du Sahara Occidental*
GE.13-14058
Conseil des droits de l’homme
Vingt-troisième session
Point 3 de l’ordre du jour
Promotion et protection de tous les droits de l’homme,
civils, politiques, économiques, sociaux et culturels,
y compris le droit au développement
Exposé écrit* présenté par France Libertés : Fondation
Danielle Mitterrand, organisation non gouvernementale
dotée du statut consultatif spécial
Le Secrétaire général a reçu l’exposé écrit suivant, qui est distribué conformément à la
résolution 1996/31 du Conseil économique et social.
[10 mai 2013]
* Exposé écrit publié tel quel, dans la/les langue(s) reçue(s), par l’organisation(s) non
gouvernementale(s), sans avoir été revu par les services d’édition.
Nations Unies A/HRC/23/NGO/49
Assemblée générale Distr. générale
21 mai 2013
Français seulement
A/HRC/23/NGO/49
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Le Royaume du Maroc limite la liberté d'expression
notamment au sujet du Sahara Occidental*
Les médias indépendants marocains, que ce soit la presse écrite ou électronique, peuvent
enquêter sur responsables et l politiques du gouvernement voire les critiquer, mais ils
s’exposent aux poursuites et au harcèlement dès qu’ils franchissent certaines limites bien
étroite. Le Code de la presse prévoit des peines de prison pour la diffusion « de mauvaise
foi » d’une « nouvelle fausse » susceptible de troubler l’ordre public, ou de discours
diffamatoires ou insultants envers les membres de la famille royale ; ou encore qui portent
atteinte « à la religion islamique, au régime monarchique ou à l’intégrité territoriale »,
c’est-à-dire à la revendication de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental
Les atteintes à la liberté d’expression sont de plus en plus nombreuses au Maroc : le
gouvernement se sert de l’argument de l’atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de
l’Etat pour harceler, arrêter et inculper des défenseurs des droits de l’Homme, journalistes,
militants sahraouis… s’étant exprimé sur certains sujets tabous.
Les journalistes doivent donc respecter une ligne rouge lorsqu’ils parlent de la famille
royale. La critique n’est tout simplement pas tolérée. Par exemple, des numéros de
publications locales ou internationales contenant des sondages, des articles ou des
caricatures concernant la famille royale sont régulièrement saisis ou détruits, et des
journaux interdits.
Un exemple, le "Journal", un hebdomadaire ainsi que l’hebdomadaire arabophone Nichane
ont dû fermer en 2010, une fois de plus à cause de leurs positions souvent critiques à
l’égard du pouvoir. Le 30 septembre 2009, la Cour Suprême a confirmé la condamnation du
« Journal Hebdomadaire » à verser 250.000 euros à l’ESISC (European Strategic
Intelligence and Security Center). Aboubakr Jamaï et Fahd Iraki (Directeur de publication
et journaliste à l’époque des faits) avaient publié un article contestant une étude sur le
Sahara effectuée par l’ESISC pour le compte des autorités marocaines.
Au mois d’août 2009, le ministère de l’Intérieur a ordonné en toute illégalité la saisie et la
destruction de 100 000 exemplaires des magazines TelQuel et Nichane, qui étaient encore
sous presse. Les autorités leur reprochent d’avoir voulu publier, en partenariat avec le
journal français Le Monde, un sondage d’opinion sur le bilan des dix ans de règne du roi.
Le numéro du quotidien Le Monde a été interdit de vente au Maroc. Même si les résultats
de ce sondage peuvent s’apparenter à un plébiscite, pour le porte-parole du gouvernement:
«La monarchie ne pouvait être sujette à débat, même dans le cadre d’un sondage»! Et le
ministre de la Communication d’ajouter : « la monarchie ne peut faire l'objet d'un débat
même par voie de sondage »
La même année, Khaled Gueddar et Taoufik Bouachrine, respectivement caricaturiste et
directeur du quotidien Akhbar al Youm, ont été condamnés, le 30 octobre, à une peine de
quatre ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir publié une caricature du prince Moulay
Ismaïl, cousin du roi, avec le drapeau marocain en toile de fond ! Ils ont également été
condamnés à payer des lourdes amendes ainsi que des dommages et intérêts pour manque
de respect à l’égard du drapeau national et pour offense à un membre de la famille royale.
Autre fait notoire: plusieurs journaux qui avaient évoqué la santé du roi, sujet tabou au
Maroc, ont fait l’objet de poursuites judiciaires !
* Le Bureau International pour le Respect des Droits de l'Homme au Sahara Occidental (BIRDHSO),
une ONG sans statut consultatif partage également les opinions exprimées dans cet exposé.
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Il existe plusieurs émissions d’investigation sur les chaînes de la télévision publique
marocaine. Cependant, ici encore, la critique contre le gouvernement, le débat et opinions
divergentes sur certains sujets cruciaux ne sont pas tolérés ! En 2010, deux correspondants
locaux d’Al-Jazeerase sont vu refuser l’accréditation leur permettant de travailler, sans
justification de cette décision. La chaîne qatarie a ensuite été interdite, sous prétexte qu’elle
avait « sérieusement altéré l’image du Maroc et porté manifestement préjudice à ses intérêts
supérieurs, à leur tête la question de l’intégrité territoriale », faisant évidemment allusion au
Sahara Occidental.
La liberté d’informer se heurte à des exceptions flagrantes. Le Roi et les sensibilités
semblent en effet être des lignes rouges à ne pas franchir à en juger par la censure ayant
frappé le 26 février 2012 le journal espagnol El Pais.
Dans ce numéro étaient publiés des extraits de l’ouvrage co-écrit par Catherine Graciet et
Eric Laurent, intitulé «Le Roi prédateur. Main basse sur le Maroc», enquêtant sur
l’enrichissement du roi Mohammed VI. Les autorités marocaines ont justifié cette
interdiction car ce numéro contenait des propos diffamants portant atteinte «à l’image de sa
Majesté et aux institutions du pays». En effet, au Maroc, l’article 29 du code de la presse
bannit tout propos portant atteinte à la personne du roi.
Depuis des mois, nombreux sont les magazines et journaux interdits au Maroc à cause de
cet article 29 ou parce qu’ils heurteraient les sensibilités religieuses. Selon l’agence de
presse espagnole EFE, 29 journaux étrangers ont été interdits entre janvier 2011 et février
2012, dont 22 journaux et magazines français censurés.
Le Maroc, contrairement à plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient, a eu une
politique assez favorable à Internet à ses débuts. Cependant, depuis quelques années, avec
le développement des blogs sur la toile et des réseaux sociaux, de nombreux actes de
censure ont pu être recensés. Ils sont souvent le fait du principal opérateur Internet du pays,
Maroc Télécom, qui ne justifie pas les coupures qu’il opère. Ainsi, Youtube a été bloqué un
temps en 2007, et le site de Google Earth est aujourd’hui inaccessible pour des raisons
inconnues ! Les cas de censure les plus flagrants sont cependant ceux concernant les sites
de défenseurs de l’autodétermination du Sahara Occidental, comme les sites du Front
Polisario, le principal acteur politique luttant pour l’indépendance du Sahara Occidental.
Heureusement, ces sites sont aujourd’hui accessibles ! De nombreux blogueurs ont fait
l’objet d’arrestations, et en 2009 par exemple, une véritable « chasse aux sorcières » a eu
lieu à leur encontre.
En ce qui concerne la liberté d’association, aucun des groupes de défense des droits
humains au Sahara Occidental n’est enregistré légalement. Les autorités marocaines les
considèrent comme des defenders de l’autodétermination ou encore comme des
« séparatistes ». Certains de ces groupes ont fait une demande d’inscription, mais sans
succès. Par conséquent, le travail de ces associations est « illégal » : l’affiliation est
considérée comme un crime, elles n’ont aucun endroit pour se réunir et leurs ressources
financières sont très limitées. Elles rencontrent de très nombreuses difficultés pour
travailler avec les organisations gouvernementales, et même avec les ONG qui sont
« enregistrées », ainsi que des difficultés pour communiquer et se rendre à l’étranger.
Recommandations
Le Pacte International Relatif Aux Droits Civils et Politiques, que le Maroc a ratifié, énonce
dans l’article 19(2) : « Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend
la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute
espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou
artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
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Nous invitons par conséquent le Royaume du Maroc à supprimer l’article 29 du code de la
presse1, ainsi que les autres lois qui restreignent la liberté d’expression et de la presse et à
respecter ses obligations envers le droit international pour la protection du droit à la liberté
d’expression.
1 "L'introduction au Maroc de journaux ou écrits périodiques ou non, imprimés en dehors du Maroc,
pourra être interdite par décision motivée du Ministre de la communication lorsqu'ils portent atteinte à
la religion islamique, au régime monarchique, à l'intégrité territoriale, au respect dû au Roi ou à
l'ordre public…*